• Ma seizième comme ma quinzième année. Une barque emportée sur le ru de mon sang, ancrée dans la fertilité de ma chair. Et de m’y noyer comme tombent les cadavres. Et de n’en plus pouvoir comme s’installent les tombes. La pierre d’une ère nouvelle sur le tombeau de mon âme trop faiblement enivrée. Je ne saisis que trop bien pourquoi mes larmes coulent. Ma seizième comme ma quinzième année. 

    Et puis le vent de tourner. Ma barque de chavirer dans la noirceur d’un liquide sali par la labeur d’une journée d’hypocrisie. L’anniversaire de ma malédiction originelle. Comme la bouchée d’Adam. Comme la nudité des uns. Comme la morsure de l’autre. Ils n’avaient rien prévu quand s’imaginent les tombeaux. Ma seizième comme ma quinzième année.

    J’ai mal quand se lève le jour. Je pleure quand s’annonce l’heure d’un repas que je ne prends désormais plus. Je souffre quand arrive la solitude journalière d’un lit solitaire. Je brûle quand la floraison de délicieuses perles s’installent au coin de mes paupières. Je n’ai plus que ma barque emportée sur le ru de mon sang quand l’odeur de la vie ne me fait plus frémir. Et comme une vérité aveuglante : ma seizième comme ma quinzième année.

    L’éclosion d’une nouvelle sensation au creux de mon moi le plus profond, ô désirable sensation invoquée depuis tant de mois quand se succèdent les instants d’un rien dans la lenteur d’un tout! Je souris quand rougissent mes yeux, et mes oreilles me transpercent l’âme par la chaleur qui en émane. Il me semble que mon corps n’est plus qu’un rythme émotionnelle au fil de mon inatteignable fantasme. Il m’avait semblé un instant. Il m’était apparu une seizième comme ma quinzième année. Aujourd’hui, je vois bien comme mon erreur était incommensurable!

     

    Ma seizième comme prémisse de ma quinzième année. Si auparavant ma barque était emportée sur le ru de mon sang, c’est présentement mon poignet comme noyé par le liquide brunâtre qui s’échappe malicieusement de se vaine prisonnière, veine geôlière.

    Ma seizième et je n’entrevois plus ma dix-septième année.


    votre commentaire
  • Je regarde le ciel décoloré par la brume. Plus de bleu, plus de rose, plus de lumière en poussière dorée. Seulement des nuages gris et vagues, des formes invisibles, un cœur bombé, pluvieux. Les fruits perdent peu à peu leur saveur, l’herbe son odeur, le vent sa fraîcheur. Je suis si petite… Je m’assois un instant, pense au malheur. Je suis la plus heureuse depuis que ma tristesse se déploie sur mon âme en pluie de bonheur. Le sang m’inonde d’une envoûtante chaleur qui se délecte de mes grains de peau. Le plaisir de m’y baigner se mêle étroitement à l’horreur de n’y plus respirer. Enfin, l’odeur délicate qui s’exhale sous mes narines jusqu’alors inutiles.

    J’ai le temps qui foisonne un peu plus ma peau en mille plis indistincts, j’ai la pluie qui déshydrate posément chaque parcelle de mon corps amputé. Je regarde plus profondément encore mes deux mains pâles et tachetées de-ci, de-là par la boue fiévreuse du terrain. J’écarte mes doigts les uns des autres en dix flèches directionnelles qui se démantèlent les unes des autres en divers chemins dont le sens ne m’apparaît clairement. Autant de voies pour un unique bonheur tellement inatteignable! Chaque route de vie comme un arbre, des racines jusqu’aux feuilles tremblantes. Le choix est difficile, les résultats imprévisibles, et le rôle de l’homme éphémère. Je suis en proie aux mains d’un fatal destin qui se dessine sur le sol abreuvé par la rosée matinale. Alors, l’impression de n’être qu’un objet inanimé, un pantin de bois, une poupée de chiffon, une métallique toupie m’assaille et je referme chacun de mes dix doigts sur le paume de ma main colorée par l’humidité.

    J’observe l’iniquité entre ciel et terre, et m’insurge un peu contre ces différences qui oppressent les êtres humains. L’étouffante respiration, l’éprouvante destinée en unique doigt fléché, j’invoque le Bonheur en instance, j’invoque la clepsydre en décor surnaturel mais protecteur. Je me dis que la fatalité est trop dérisoire pour être suivie. J’ai peur de n’avoir pu, une unique fois, décider de la voie empruntée, choix mûrement réfléchi, et réfracté en miroir de sang. L’envie de bonheur m’émeut, et je conjure l’âme du monde de me l’offrir présentement. Mais sa réponse est faible, trop indicible, conséquence irrémédiable de mon malheur en pluie de joie. Les êtres humains sont si subtiles que je ne peux les comprendre. En suis-je réellement un, moi qui ne me meus que lorsque la force d’un futur en indicatif m’attire parmi ses filets de pêcheur en horreur?

    Je le hais, ce vil petit pêcheur. Je la hais, cette méticuleuse pluie d’or, je le hais cet inutile pantin de bois pourri, je la hais cette route sinueuse qui ne me mène nulle part, je le hais ce miroir de sang qui m’empêche de goûter au monde, je les hais.

     

    Sentiments acerbes d’un rien en cendre de mots.


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique